Considérons toutes nos affaires personnelles comme des secrets ; au delà de ce que les bonnes connaissances voient de leurs propres yeux, il faut leur rester entièrement inconnu.
Car ce qu’elles sauraient touchant les choses les plus innocentes peut, en temps et lieu, nous être funeste.
En général, il vaut mieux manifester sa raison par tout ce que l’on tait que par ce qu’on dit. Effet de prudence dans le premier cas, de vanité dans le second.
Les occasions de se taire et celles de parler se présentent en nombre égal, mais nous préférons souvent la fugitive satisfaction que procurent les dernières au profit durable que nous tirons des premières.
[…] la prudence commande d’entretenir un large fossé toujours ouvert entre la pensée et la parole.
D’autre part, il faut savoir que les gens, même ceux qui ne trahissent d’ailleurs qu’une médiocre perspicacité, sont d’excellents algébristes quand il s’agit des affaires personnelles des autres […] Car, autant les hommes ont peu d’aptitude et de curiosité pour les vérités générales, autant ils sont avides des vérités individuelles.
Voilà pourquoi le silence a été si instamment recommandé par tous les docteurs en sagesse avec les arguments les plus divers à l’appui.
Je n’ai donc pas besoin d’en dire davantage et me contenterai de rapporter quelques maximes arabes très énergiques et peu connues : « Ce que ton ennemi ne doit pas apprendre, ne le dis pas à ton ami. » — « Faut que je garde mon secret, il est mon prisonnier ; dès que je le lâche, c’est moi qui deviens son prisonnier. » — « A l’arbre du silence pend son fruit, la tranquillité. »
Arthur Schopenhauer – Aphorismes sur la sagesse dans la vie (1851)