« C’est un grand art que celui de savoir refuser »

Si c’est une grande science que de savoir refuser des grâces, c’en est une plus grande de se savoir refuser à soi-même, aux affaires, et aux visites.

Il y a des occupations importunes qui rongent le temps le plus précieux. Il vaut mieux ne rien faire que de s’occuper mal à propos.

Il ne suffit pas, pour être homme prudent, de ne faire point d’intrigues ; mais il faut encore éviter d’y être mêlé.

Il ne faut pas être si fort à chacun que l’on ne soit plus à soi-même. On ne doit point abuser de ses amis, ni rien exiger d’eux au delà de ce qu’ils accordent volontiers.

Tout ce qui est excessif est vicieux, surtout dans la conversation ; et l’on ne saurait se conserver l’estime et la bienveillance des gens, sans ce tempérament, d’où dépend la bienséance.

Il faut mettre toute sa liberté à si bien choisir que l’on ne pèche jamais contre le bon goût.

[…] Tout ne se doit pas accorder, ni à tous. Savoir refuser est d’aussi grande importance que savoir octroyer ; et c’est un point très nécessaire à ceux qui commandent. Il y va de la manière.

Un non de quelques-uns est mieux reçu qu’un oui de quelques autres, parce qu’un non assaisonné de civilité contente plus qu’un oui de mauvaise grâce.

Il y a des gens qui ont toujours un non à la bouche, le non est toujours leur première réponse, et, quoiqu’il leur arrive après de tout accorder, on ne leur en sait point de gré, à cause du non mal assaisonné qui a précédé.

Il ne faut pas refuser tout-à-plat, mais faire goûter son refus à petites gorgées, pour ainsi dire. Il ne faut pas non plus tout refuser, de peur de désespérer les gens, mais au contraire laisser toujours un reste d’espérance pour adoucir l’amertume du refus.

Que la courtoisie remplisse le vide de la faveur, et que les bonnes paroles suppléent au défaut des bons effets.

Oui et non sont bien courts à dire ; mais, avant que de les dire, il y faut penser longtemps.

Baltasar GracianL’Homme de cour (1647)

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