Rien n’est plus permis que d’user des ouvrages qui sont entre les mains de tout le monde ; ce n’est point un crime de les copier ; c’est au contraire dans leurs écrits, selon Quintilien, qu’il faut prendre l’abondance et la richesse des termes, la variété des figures, et la manière de composer : ensuite, ajoute cet orateur, on s’attachera fortement à imiter les perfections que l’on voit en eux ; car on ne doit pas douter qu’une bonne partie de l’art ne consiste dans l’imitation adroitement déguisée.
Laissons dire à certaines gens que l’imitation n’est qu’une espèce de servitude qui tend à étouffer la vigueur de la nature ; loin d’affaiblir cette nature, les avantages qu’on en tire ne servent qu’à la fortifier.
[…] J’avoue qu’il n’est pas impossible que des hommes plus favorisés du ciel que les autres, s’ouvrent d’eux-mêmes un chemin nouveau, et y marchent sans guides ; mais de tels exemples sont si merveilleux, qu’ils doivent passer pour des prodiges.
En effet, le plus heureux génie a besoin de secours pour croître et se soutenir ; il ne trouve pas tout dans son propre fonds. L’âme ne saurait concevoir ni enfanter une production célèbre, si elle n’a été comme fécondée par une source abondante de connaissances.
Nos efforts sont inutiles, sans les dons de la nature ; et nos efforts sont imparfaits si l’on n’accompagne ces dons, si l’imitation ne les perfectionne.
[…] il ne suffit pas de connaître l’utilité de l’imitation ; il faut savoir encore quelles règles on doit suivre pour en retirer les avantages qu’elle est capable de procurer.
La première chose qu’il faut faire est de se choisir un bon modèle. Il est plus facile qu’on ne pense de se laisser surprendre par des guides dangereux ; on a besoin de sagacité pour discerner ceux auxquels on doit se livrer.
[…] Il ne faut pas même s’attacher tellement à un excellent modèle, qu’il nous conduise seul et nous fasse oublier tous les autres écrivains. Il faut comme une abeille diligente, voler de tous côtés, et s’enrichir du suc de toutes les fleurs.
[…] Le discernement n’est pas moins nécessaire pour prendre dans les modèles qu’on a choisis les choses qu’on doit imiter. Tout n’est pas également bon dans les meilleurs auteurs ; et tout ce qui est bon ne convient pas également dans tous les temps et dans tous les lieux.
De plus, ce n’est pas assez que de bien choisir ; l’imitation doit être faite d’une manière noble, généreuse, et pleine de liberté. La bonne imitation est une continuelle invention.
Il faut, pour ainsi dire, se transformer en son modèle, embellir ses pensées, et par le tour qu’on leur donne, se les approprier, enrichir ce qu’on lui prend, et lui laisser ce qu’on ne peut enrichir.
[…] Ainsi l’imitation née de la lecture continuelle des bons originaux, ouvre l’imagination, inspire le goût, étend le génie, et perfectionne les talents
[…] Ne rougissons donc pas de consulter des guides habiles, toujours prêts à nous conduire. Quoiqu’ils soient nos maîtres, la grande distance que nous voyons entre eux et nous, ne doit point nous effrayer.
La carrière dans laquelle ils ont couru si glorieusement est encore ouverte ; nous pouvons les atteindre, en les prenant pour modèles et pour rivaux dans nos imitations ; si nous ne les atteignons pas, du-moins nous pouvons en approcher, et après les grands hommes, il est encore des places honorables.
[…] Concluons que c’est à l’imitation que les modernes doivent leur gloire, et que c’est de cette même imitation que les anciens ont tiré leur grandeur.
(En morale, l’imitation) c’est la traduction des préceptes en exemples. Un jeune homme qui veut s’avancer dans la carriere de la gloire et de la vertu, doit commencer par se proposer d’excellents modèles, et ne pas prendre d’après eux quelques traits de ressemblance, pour une parfaite conformité ; mais avec le temps, il doit devenir lui-même son modèle ; c’est-à-dire régler ses actions par ses actions, et donner des exemples après en avoir suivi.
L’Encyclopédie de Didedot et d’Alembert () – Imitation