[…] défiez-vous des foules ! Pour aimer bien chacun, séparez-le de tous.
Réunis, les hommes perdent ce qu’ils ont de précieusement personnel ; ils n’additionnent et ne renforcent que ce qu’ils ont « de même nature » ; il n’y a bientôt plus qu’un total monstrueux.
Vous parlez d’émotions propagées et de contagions admirables … Les maladies seules sont contagieuses, et rien d’exquis ne se propage par contact. La communion ne s’obtient ici que sur les points les plus communs, les plus grossiers et les plus vils.
Sympathiser avec la foule c’est déchoir.
[…] Je hais la foule ; elle ne respecte rien ; toute tendresse, toute délicatesse, toute justesse, toute beauté s’y faussent, s’y brisent, s’y mortifient […]
Je hais la foule ; – ne voyez pas d’orgueil dans mes paroles : quand je suis dans la foule, j’en fais partie, et c’est parce que je sais ce que j’y deviens que je hais la foule.
André Gide – Prétextes, réflexions sur quelques points de littérature et de morale (1903)