« La douleur seule nous trouve. Tout homme est fait comme sa douleur. »
Antoine Blanc de Saint-Bonnet – La Douleur (1849)
Ne pensons pas que la douleur ne vienne sur la terre que pour donner son résolvant au mal. Elle y est aussi appelée pour apporter son multiplicateur au bien. […] Que le juste ne s’étonne point des nombreuses visites de la douleur. On la voit souvent obligée d’entrer chez lui pour rétablir l’équilibre entre les deux pôles précieux de son être : la personnalité et l’amour !
La douleur veut s’adresser à ces personnes dont le cœur expire de douceur et de sensibilité : elle accourt pour leur faire obtenir par l’effort une personnalité proportionnée à leur amour. […]
La douleur s’adresse également à ces hommes dont le caractère est plein de grandeur et de fermeté : elle vient pour dire aux larmes d’arroser les racines d’un amour qui doit grandir autant que leur personnalité. C’est pourquoi on voit presque tous les grands hommes rappelés un jour par les obligations de la douleur.
La douleur sait, en tombant sur un cœur attendri, y fortifier une volonté que la bonté empêchait de croître ; et, en tombant sur une personnalité altière, y adoucir un cœur que la fermeté empêchait de s’ouvrir. Êtes-vous doux ? elle vous rend forts ; êtes-vous forts ? il faut bien qu’elle vous rende doux !
Quelle lame à deux tranchants ! Dirons-nous qu’elle ne fut pas faite en vue de la nature humaine ? … Placée dans l’intérieur de notre être, la douleur proportionne, d’après le plan divin, le cœur et la volonté. […] Dieu, qui voit les âmes, dépêche la douleur auprès d’elles, pour les contraindre à s’élever, puis à se rapprocher de cette perfection qui sera la mesure de leur félicité sans fin.
Qui voit comment son âme est faite ? Qui sait où son égoïsme est fixé ? qui sait où se tient son amour ? Souvent l’endroit le plus parfait et le plus délicat du cœur est celui où l’humilité pénétrait seule. Ou bien, par la vieille habitude d’un vice, on perd de vue la plus grosse méchanceté de son âme. La douleur seule nous trouve. Tout homme est fait comme sa douleur …
Qui remplacerait en lui cet ouvrier invisible ? […] Seuls les insensés semblent manqués par la douleur….. […] Souvent l’homme trop ferme a besoin d’être attendri par le Ciel. La volonté ne fait que l’homme, et l’homme s’élèverait dans son orgueil. Il faut que notre cœur s’ouvre proportionnellement à la source impersonnelle. Tel croit aller en arrière qui travaille le plus pour avancer. […] La volonté privée de cœur s’érige en haine. […]
L’intelligence ne fait pas le grand homme ; et la volonté d’un grand homme ne fait qu’un entêté de celui dont l’intelligence est étroite. Pour posséder un esprit vaste, il faut s’être humilié devant bien des faits ; et pour penser à tout, il faut avoir successivement tout aimé. Seul un grand amour a pu retenir l’âme suffisamment sur chaque objet. Jamais le bon sens ne sortit d’un cœur étroit. […]
Comprenons l’importance de l’équilibre entre le cœur et la volonté. La méchanceté n’est qu’une persistance de la volonté sur un point où le cœur devait prévaloir ; la faiblesse, qu’une inaction du cœur lorsque c’était à la volonté de marcher.