Ce que le français doit à l’anglais et vice-versa

La story ou la storie ? C’est que cela change tout, le premier mot est anglais, le second est  français. Mais lequel s’est manifesté en premier ? Qui a emprunté tel mot ou tel mot à l’autre ? Pourquoi y a-t-il tant de mots en commun ? À dire vrai, les surprises sont nombreuses parce que l’histoire des deux langues est mêlée de manière plus intriquée qu’on ne l’imagine. Pourtant, on a bien affaire à deux langues distinctes, l’une germanique, l’autre romane.

À ces questions et à mille autres, on trouvera réponse dans ce passionnant voyage au cœur de la langue française. Grâce à son érudition époustouflante, Jean Pruvost conte pour notre plus grand bonheur l’histoire de la langue française. Mêlant nombreux exemples et anecdotes savoureuses à des explications parfois surprenantes sur l’origine des mots, Jean Pruvost signe là un ouvrage destiné à tous les amoureux de la langue française.

Jean Pruvost, professeur émérite de lexicologie et d’histoire de la langue française, est l’auteur de plus de 4 000 chroniques de langue, de plusieurs dictionnaires et de nombreux ouvrages autour des mots. Il est animé d’une grande passion pour la langue française dont il défend l’élégance et la vigueur.

Tallandier



Les Anglais parlent français … sans le savoir (Le Point)

Qui l’eût cru ? Au moins un tiers du vocabulaire anglais est issu de la langue française. C’est ce que démontre une passionnante histoire de ces langues voisines…

À l’heure du Brexit, certaines vérités sont bonnes à rappeler : la perfide Albion, si jalouse de sa singularité, doit beaucoup à la culture française, à commencer par sa langue, comme le rapporte le passionnant ouvrage de Jean Pruvost, professeur de lexicologie et auteur d’une Story de la langue française (éditions Tallandier).

Loin d’être une étude rébarbative, son livre met en lumière ce que chacune des langues a apporté à l’autre, la plus généreuse n’étant pas forcément celle que l’on croit… Malgré les alertes régulières sur l’invasion de notre langue par l’anglais, on constate que les Britanniques ont digéré un nombre incalculable de mots français, puisqu’on apprend qu’un tiers au moins de leur vocabulaire est d’origine française – certains spécialistes allant même jusqu’aux deux tiers.

Un apport qui est venu dans le sillage de Guillaume le Conquérant, qui a apporté son lexique d’ancien français. C’est ainsi que des mots issus de la langue italique romane vont rapidement s’imposer dans l’anglais, jusqu’ici largement façonné par la langue germanique, mâtiné d’un substrat celtique commun aux deux langues. En écrasant le roi anglo-saxon Harold, en 1066, le duc normand Guillaume coiffe la couronne à Westminster et impose ses ministres, sa cour, ses codes et sa langue à tout le royaume.

« Pour être un Anglais considéré, il fallait donc commencer par s’exprimer en français, d’où le fréquent bilinguisme des classes aisées de souche anglaise, se confirmant et se renforçant par ailleurs par des mariages unissant familles anglaises et noblesse normande, rappelle l’historien Jean Pruvost. Une récente étude montre que 45 % de la population du centre et du sud-est de l’Angleterre aurait dans son ADN des ascendants français… »

Prononciation et déformation

Un métissage politique et culturel qui a laissé de nombreuses traces dans le vocabulaire, à commencer par celui de l’administration : prince, sir, duke, baron, minister, master, court, justice, prison, procedure sont autant de mots qui font aujourd’hui partie de la langue britannique. La plupart ont évolué à partir d’une prononciation différente, comme beef, pork, mutton, ou encore to pay, qui vient de payer, proud, issu de preux en français, robber (le voleur) évoque l’ancien mot rober, voler, the crown est la déformation de couronne, chair pour chaise, flower pour fleur, tower pour tour, juggler pour jongleur, etc.

Plus compliqué à déceler : le très courant adverbe very rappelle l’ancien français veray (qui signifiait vrai avant d’évoluer vers vraiment), the aunt renvoie à la tante, to catch, attraper, fait écho au normand cachier, capturer un animal, ainsi que de l’ancien français chacier, chasser, et citons aussi le fameux toast du sacro-saint petit déjeuner britannique, déformation du mot toster, qui signifiait griller, rôtir. À cela s’ajoutent nombre de « faux amis », cauchemar des écoliers, la conséquence d’une évolution de la langue sur plusieurs siècles…

L’anglais, musée du vieux français

L’auteur va plus loin en affirmant que l’anglais serait ainsi « le musée de l’ancien français » à travers des mots qui sonnent très british, mais qui sont les ancêtres d’un vieux vocable français. Ainsi, le petticoat (jupon) ne serait que le rappel de « la petite cotte », se situant sous la cotte de mailles des chevaliers, avant de devenir un vêtement féminin. De même pour la couverture, blanket en anglais, qui fait écho à l’ancienne blanquette, une courtepointe de couleur blanche. Pareil pour le verbe to summon, qui rappelle la semonce lorsque le prince convoquait ses vassaux, et encore to bargain, marchander, qui provient de l’ancien français bargaigner, devenu barguigner, pour signifier une hésitation lors d’un marchandage… 

Prenons l’exemple du mot budget, qui s’est imposé partout, explique Jean Pruvost. Il s’agit au départ d’un mot gaulois bulga, devenu bougette, un sac où l’on met notamment son argent. Il passe en Angleterre, s’enracine sous le terme budget, à tel point qu’au XVIIIe siècle, lorsque le Parlement anglais vote ses finances, il utilise l’expression « to open the budget », il ouvre ledit sac, un terme qu’on récupère à notre tour en France à la même époque… 

Et si…

Cet apport durera plusieurs siècles, notamment à travers les multiples mariages princiers entre les royaumes d’Angleterre et de France, et ce, jusqu’au XVe siècle, quand Henri V, victorieux pendant la guerre de Cent Ans, imposera la devise de la monarchie britannique en français, « Dieu et mon droit » – toujours présente sur les armoiries royales. On est alors au sommet de la domination anglaise, l’armée française s’est fait décapiter à Azincourt, le souverain britannique épouse la fille du roi fou Charles VI et devient régent du royaume de France, les deux cultures n’ont jamais été aussi mêlées… On connaît la suite : l’intervention décisive de Jeanne d’Arc dans la résistance à l’Anglais et l’avènement de Charles VII.

Désormais, les deux langues vont suivre un destin différent : l’anglais s’émancipe définitivement du français et revient à la langue saxonne. « Imaginons un instant que l’Angleterre soit restée francophone et que les États-Unis, installés dans son sillage, soient également dotés de la langue française, extrapole l’historien Jean Pruvost. Le paysage linguistique du monde en eût été profondément modifié… »


-> Voir également : Comment le français a envahi la langue anglaise