Oui, nous sommes trop affairés, trop encombrés, trop occupés, trop actifs ! Nous lisons trop ! Il faut savoir jeter par-dessus bord tout son bagage de soucis, de préoccupations et de pédanterie, se refaire jeune, simple, enfant, vivre de l’heure présente, reconnaissant, naïf, heureux !
Oui, il faut savoir être oisif, ce qui n’est pas de la paresse. Dans l’inaction attentive et recueillie, notre âme efface ses plis, se détend, se déroule, renaît doucement comme l’herbe foulée du chemin, et, comme la feuille meurtrie de la plante, répare ses dommages, redevient neuve, spontanée, vraie, originale.
La rêverie, comme la pluie des nuits, fait reverdir les idées fatiguées et pâlies par la chaleur du jour. Douce et fertilisante, elle éveille en nous mille germes endormis. En se jouant, elle accumule les matériaux pour l’avenir et les images pour le talent. La rêverie est le dimanche de la pensée ; et qui sait, de la tension laborieuse de la semaine ou du repos vivifiant du sabbat, lequel est le plus important pour l’homme et le plus fécond ?
La flânerie, si spirituellement vantée et chantée par Töpffer, n’est pas seulement délicieuse ; elle est utile. C’est un bain de santé qui rend la vigueur et la souplesse à tout l’être, à l’esprit comme au corps ; c’est le signe et la fête de la liberté ; c’est un banquet joyeux et salutaire, le banquet du papillon qui lutine et butine sur les coteaux et dans les prés. Or l’âme est aussi un papillon.
Henri-Frédéric Amiel – Fragments d’un journal intime (29 avril 1852)