« La fuite vers l’abstrait est la lâcheté même de l’artiste »

« Le malheur en tout ceci c’est qu’il n’y a pas de « peuple » au sens touchant où vous l’entendez, il n’y a que des exploiteurs et des exploités, et chaque exploité ne demande qu’à devenir exploiteur. Il ne comprend pas autre chose. Le prolétariat héroïque égalitaire n’existe pas. […] Le prolétaire est un bourgeois qui n’a pas réussi. Rien de plus. Rien de moins. […]

 

L’essence ne change pas. On ne s’en occupe jamais, on bave dans l’abstrait. L’abstrait c’est facile, c’est le refuge de tous les fainéants. Qui ne travaille pas est pourri d’idées générales et généreuses. Ce qui est beaucoup plus difficile c’est de faire rentrer l’abstrait dans le concret. Demandez-vous à Brueghel, à Villon, s’ils avaient des opinions politiques ?… J’ai honte d’insister sur ces faits évidents… Je gagne ma croûte depuis l’âge de 12 ans (douze). Je n’ai pas vu les choses du dehors mais du dedans. […] Au lieu de me juger on devrait mieux me copier au lieu de baver ces platitudes — tant d’écrivains écriraient des choses enfin lisibles…

 

La fuite vers l’abstrait est la lâcheté même de l’artiste. Sa désertion. Le congrès est sa mort. La louange son collier, d’où qu’elle vienne. Je ne veux pas être le premier parmi les hommes. Je veux être le premier au boulot. Les hommes je les emmerde tous, ce qu’ils disent n’a aucun sens. Il faut se donner entièrement à la chose en soi, ni au peuple, ni au Crédit Lyonnais, à personne.

Louis-Ferdinand CélineLettre à Élie Faure, 2 mars 1935