C’est ainsi que je vous parle en parabole, vous qui faites tourner l’âme, prédicateurs de l’égalité ! vous êtes pour moi des tarentules avides de vengeances secrètes ! Mais je finirai par révéler vos cachettes : c’est pourquoi je vous ris au visage, avec mon rire de hauteurs ! C’est pourquoi je déchire votre toile pour que votre colère vous fasse sortir de votre caverne de mensonge, et que votre vengeance jaillisse derrière vos paroles de « justice ». Car il faut que l’homme soit sauvé de la vengeance : ceci est pour moi le pont qui mène aux plus hauts espoirs. C’est un arc-en-ciel après de longs orages.
Cependant les tarentules veulent qu’il en soit autrement. « C’est précisément ce que nous appelons justice, quand le monde se remplit des orages de notre vengeance » — ainsi parlent entre elles les tarentules. « Nous voulons exercer notre vengeance sur tous ceux qui ne sont pas à notre mesure et les couvrir de nos outrages » — c’est ce que jurent en leurs cœurs les tarentules. Et encore : « Volonté d’égalité — c’est ainsi que nous nommerons dorénavant la vertu ; et nous voulons élever nos cris contre tout ce qui est puissant ! » Prêtres de l’égalité, la tyrannique folie de votre impuissance réclame à grands cris l’« égalité » : votre plus secrète concupiscence de tyrans se cache derrière des paroles de vertu ! […]
Voici cependant le conseil que je vous donne, mes amis, méfiez-vous de tous ceux dont l’instinct de punir est puissant ! C’est une mauvaise engeance et une mauvaise race ; ils ont sur leur visage les traits du bourreau et du ratier. Méfiez-vous de tous ceux qui parlent beaucoup de leur justice ! En vérité, ce n’est pas seulement le miel qui manque à leurs âmes. Et s’ils s’appellent eux-mêmes « les bons et les justes », n’oubliez pas qu’il ne leur manque que la puissance pour être des pharisiens !
[…] C’est avec ces prédicateurs de l’égalité que je ne veux pas être mêlé et confondu. Car ainsi me parle la justice : « Les hommes ne sont pas égaux. » Il ne faut pas non plus qu’ils le deviennent. Que serait donc mon amour du Surhumain si je parlais autrement ? »
Friedrich Nietzsche – Ainsi parlait Zarathoustra (1883)