Dans un captivant documentaire, Bertrand Loyer soulève l’épineuse question des déchets spatiaux, une menace pour les futures odyssées spatiales mais aussi pour notre sécurité. – Voir sur Rutube
« La banlieue de notre planète est un mélange de satellites en activité au milieu d’un grand dépotoir. » Aujourd’hui, les débris spatiaux sont devenus le cauchemar des opérateurs de télécommunications et des agences spatiales. Depuis le début de la conquête de l’espace à la fin des années 1950, les lancements d’engins (missiles tests, satellites…) se sont multipliés et nombre d’entre eux, en fin de vie et « oubliés », errent au-dessus de nos têtes… et se percutent. En 2009, la collision entre deux satellites, l’un russe et l’autre américain, s’est soldée par leur désintégration en milliers de débris lancés à des vitesses vertigineuses. Les tempêtes solaires, responsables de défaillances techniques, transforment aussi, du jour au lendemain, des engins parfaitement fonctionnels en dangereux fragments. Des satellites porteurs de charges nucléaires, des étages ou des réservoirs de lanceurs sont déjà retombés sur Terre…sans faire de victimes jusqu’à présent. Face au danger, les acteurs du spatial surveillent désormais en permanence les nuages de déchets, se tenant prêts à dévier dans l’urgence leurs satellites ou installations menacés. Et les ingénieurs du monde entier, engagés dans la traque aux débris, rivalisent d’ingéniosité pour s’imposer comme de futurs éboueurs de l’espace.
Péril spatial
Dans l’espace aussi, les déchets s’amoncellent (Libération)
Au dessus de notre tête, défile un nombre croissant de débris en orbite. Leur concentration commence à sérieusement poser problème.
Le 4 octobre 1957, le lancement Spoutnik 1 marque le début de l’ère spatiale. Première mise en orbite d’un satellite, mais aussi de débris orbitaux. Le petit engin pèse 84 kg, à peine 1,3 % de la masse de la fusée soviétique qui le propulse dans l’espace. Les 6,6 tonnes restantes – l’étage central et la coiffe protectrice – se retrouvent aussi en apesanteur. Le satellite, lui, amorce sa destruction programmée en rentrant dans l’atmosphère après trois mois de service. Les lancements se sont depuis succédés, jusqu’à transformer l’espace en poubelle.
Evolution du nombre de débris en orbite basse selon la NASA. Les points sont volontairement grossis. Gif Clara de Alberto pour Libe Labo.
Aujourd’hui encore, les opérations spatiales génèrent de nombreux débris en orbite. La France est le quatrième contributeur historique derrière la Russie, les Etats-Unis et la Chine. Or cette accumulation devient une «menace pour les futures odyssées spatiales mais aussi pour notre sécurité», avertit l’excellent documentaire Alerte aux débris spatiaux, disponible en replay jusqu’en mars sur le site d’Arte. La tendance n’est pas à la diminution : le lancement de satellites miniatures moins coûteux, les CubeSats, devrait bientôt déboucher sur la mise en orbite de 500 satellites par an. Plus il y en a dans l’espace, plus ils sont susceptibles d’entrer en collision avec d’autres objets en cas de perte de contrôle. Ils explosent alors en milliers de morceaux, peuvent provoquer des accidents en chaîne et font grossir le nuage de débris.
C’est par exemple ce qui s’est passé début 2007, lorsque la Chine a eu l’idée de lancer un missile sur un de ses satellites météo, le Feng Yun 1C, pour un test. La courbe en bas à gauche témoigne de cette explosion qui a empli l’espace de 3 000 fragments supplémentaires.
Actuellement, environ 150 millions d’objets de 1 mm ou plus orbitent ou errent au dessus de nos têtes, estiment les scientifiques. En fonction de l’altitude, les télescopes et les radars sont capables d’en repérer une partie. Une fois que l’on est capable de les suivre et de connaître leur trajectoire future, ils sont dits «catalogués». Le 24 janvier, ils étaient exactement 19 542, contre 18 835 en février 2018. Sans compter environ 5 000 objets militaires, essentiellement américains, qui n’entrent pas dans le décompte.
Quelle masse cela représente-il ? «C’est un peu la boule de cristal car personne ne fait réellement le décompte, notamment pour tout ce qui est militaire. La NASA dit 7 800 tonnes et est certainement minorante, l’ESA dit 8 400 et est sans doute excessive», explique Christophe Bonnal, directeur des lanceurs du Centre national d’études spatiales (Cnes). Plus ou moins l’équivalent d’une tour Eiffel, donc.
Epées de damoclès
Pour éviter le scénario catastrophe du film Gravity où un incident est causé par une collision avec des débris, la station spatiale internationale (ISS) est de plus en plus obligée de slalomer entre les objets. Elle est d’ailleurs marquée par de petits impacts sur ses panneaux solaires, radiateurs, protections thermiques et même ses hublots.
Les fragments sont aussi dangereux pour les sorties dites «extravéhiculaires» des astronautes dans l’espace, majoritairement pour de la maintenance. Les petits débris qui circulent à 30 000 km/h sont invisibles à l’œil nu et peuvent ne pas être détectés par les machines. Les combinaisons des astronautes n’y résisteraient pas en cas d’impact. C’est pourquoi des scientifiques sont en train de concevoir des robots capables de faire les réparations en extérieur à la place des humains.
Les objets en orbite basse peuvent retomber sur Terre. Le point d’impact reste difficile à calculer avec précision. Personne n’a à ce jour reçu de réservoir à carburant de 250 kg sur la tête. Mais il y a eu quelques grosses frayeurs, notamment ce jour de septembre 2016 où une partie d’un corps de ferme indonésien a été détruite par le second étage d’une fusée Space X.
Recyclage
La course à la dépollution de l’espace est maintenant lancée. Plusieurs méthodes sont à l’essai. Des appareils utilisant le harpon ou le filet pourraient servir à récupérer une partie des 30 000 objets de plus de 10 cm qui y flottent. Pour les débris entre 1 et 10 cm, on envisage le laser. La méthode la plus avancée (mais encore à l’état de projet) est encore les «Space Tugs», des chasseurs de gros débris armés d’un bras articulé capables de tracter les déchets vers la Terre. Ces éboueurs spatiaux pourraient même aider à recycler en orbite, explique le Cnes sur son site : «Dans un avenir plus lointain et à titre prospectif à ce jour, on peut envisager que les Space Tugs pourraient découper la tôle des débris en orbite pour blinder d’autres objets encore en service.»
L’espace sous la menace des mégaconstellations de satellites (Le Monde)
Les projets de constellations de milliers de satellites destinés à fournir du débit Internet se concrétisent et se multiplient. Les spécialistes s’inquiètent : comment gérer ces engins qui risquent de rendre inexploitable la banlieue terrestre ?
24 mai 2019, mission Starlink-0 : soixante satellites mis en orbite simultanément. 11 novembre 2019, Starlink-1 : soixante satellites de plus. 7 janvier 2020, Starlink-2 : soixante satellites de plus. 29 janvier, Starlink-3 : soixante satellites de plus. 17 février, Starlink-4 : soixante satellites de plus. Entre-temps, l’opérateur OneWeb est lui aussi entré dans la danse spatiale en lançant sa première fournée de trente-quatre satellites, le 6 février. En mars, Starlink et OneWeb prévoient tous les deux un nouveau lancement. Et ainsi de suite.
Il faut s’obliger à lire cette liste monotone de décollages de fusées pour comprendre que le spatial vient, presque subrepticement, d’entrer dans une nouvelle ère, celle des mégaconstellations de satellites, destinées à fournir, depuis l’orbite basse (moins de 2 000 kilomètres d’altitude), du débit Internet à tous les Terriens, partout, tout le temps. Starlink, filiale de l’entreprise californienne SpaceX du milliardaire Elon Musk, a obtenu l’autorisation d’envoyer 12 000 engins dans l’espace et ne cache pas son intention d’en expédier 30 000 de plus, pour un total ahurissant de 42 000. La compagnie OneWeb, basée au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, mise quant à elle sur une flotte de près de 2 000 appareils, qui pourrait, selon certaines sources, être portée à plus de 5 000 satellites.
Des dizaines d’autres opérateurs ont annoncé leur intention de partir à la conquête de ce nouvel eldorado, et l’on compte dans ce peloton quelques gros poissons comme Amazon ou des organismes officiels russe et chinois. Certains projets ont déjà capoté – tel LeoSat (Luxembourg) – ou sont à l’arrêt – comme celui de Boeing qui prévoyait une constellation de près de 3 000 unités –, mais il n’est pas impossible que l’on dénombre, à la fin de la décennie, plus de 50 000 nouveaux satellites dans le ciel. Un chiffre à comparer avec les quelque 8 000 engins envoyés en orbite depuis le début de l’ère spatiale, en 1957.
Un chiffre qui angoisse aussi. Début janvier, lors de ses vœux à la presse internationale, Jan Wörner, le directeur général de l’Agence spatiale européenne (ESA), n’a pas caché sa préoccupation vis-à-vis du déploiement rapide des premières constellations. La menace ? Une augmentation des incidents, voire des accidents, de la circulation spatiale, susceptibles de multiplier les débris et de polluer l’orbite basse au point de la rendre inutilisable. Sans compter les nuisances dans les observations astronomiques qu’engendrent déjà les grappes de satellites Starlink. Comme le résume sur un ton quelque peu grinçant Eric Lagadec, vice-président de la Société française d’astronomie et d’astrophysique : « On risque de perdre notre ciel simplement pour réduire la latence des jeux vidéo en ligne ou pour s’envoyer encore plus de photos de chats. C’est énervant… »