Vous me demandez ce que vous devez lire, comme les malades demandent ce qu’ils doivent manger ; mais il faut avoir de l’appétit, et vous avez peu d’appétit avec beaucoup de goût. Heureux qui a assez faim pour dévorer l’Ancien Testament ! Ne vous en moquez point […].
[…] Quand on lit pour s’instruire, on voit tout ce qui a échappé lorsqu’on ne lisait qu’avec les yeux.
[…] Mais vous , madame , prétendez-vous lire comme on fait la conversation ? prendre un livre comme on demande des nouvelles ? le lire et le laisser là ? en prendre un autre qui n’a aucun rapport avec le premier, et le quitter pour un troisième ?
En ce cas, vous n’avez pas grand plaisir. Pour avoir du plaisir, il faut un peu de passion ; il faut un grand objet qui intéresse, une envie de s’instruire déterminée, qui occupe l’âme continuellement ; cela est difficile à trouver, et ne se donne point.
Vous êtes dégoûtée ; vous voulez seulement vous amuser, je le vois bien ; et les amusements sont encore assez rares.
[…] Ma lettre est devenue un livre, et un mauvais livre ; jetez-le au feu, et vivez heureuse, autant que la pauvre machine humaine le comporte.
Voltaire – Lettre à Madame la Marquise du Deffand (1759)