La clé de chaque homme est sa pensée.
Quoique brusque et défiant, il a un gouvernail auquel il se fie, c’est l’idée qui lui sert à classifier tous les faits.
Il ne peut se réformer que par la rencontre d’une nouvelle idée qui commande à l’ancienne.
La vie de l’homme est un cercle dans lequel il tourne, qui, partant d’un rayon imperceptible, s’étend de tous côtés en cercles nouveaux et plus larges, et cela indéfiniment.
L’espace qu’embrassera cette génération de cercles naissant les uns des autres dépend de la force ou de la véracité de l’âme individuelle.
Car chaque pensée qui est née d’une certaine vague de circonstances, par exemple d’un empire, des règles d’un art, d’un usage local, d’un rite religieux, fait un effort inerte pour rester au sommet où elle s’est placée, pour s’y solidifier et y prendre racine.
Au contraire, si l’âme est vive et forte, elle brise ses limites de tous côtés, trace un autre orbite dans le profond infini et se précipite dans un plus grand flot de circonstances, qui, à leur tour, s’efforcent de s’arrêter et de s’enchaîner.
Mais le cœur refuse de s’emprisonner dans ses premières et dans ses plus faibles impulsions ; il tend déjà avec une grande force à aller plus avant, il tend à des expansions immenses et innombrables.
Ralph Waldo Emerson – Essais de philosophie américaine (1851)