Si l’on considère ce qui est de soi et sans qu’on y travaille, le pessimisme est le vrai ; car le cours des choses humaines, dès qu’on l’abandonne, va tout de suite au pire.

Quelqu’un me jugeait hier en peu de mots : « Optimisme incurable. » Certainement il l’entendait mal, voulant dire que je suis ainsi par nature et que j’en suis bien heureux, mais qu’enfin une bienfaisante illusion n’a jamais passé pour vérité. C’est confondre ce qui est avec ce que l’on veut faire être.
Si l’on considère ce qui est de soi et sans qu’on y travaille, le pessimisme est le vrai ; car le cours des choses humaines, dès qu’on l’abandonne, va tout de suite au pire ; par exemple, qui se livre à son humeur est aussitôt malheureux et méchant. Cela est inévitable par la structure de notre corps, qui tourne tout à mal dès qu’on ne le surveille plus, dès qu’on ne le gouverne plus. […] Ici se montre la loi biologique de l’excitation qui va aussitôt à l’irritation. […] La leçon vous fera rougir vous-même, car elle est bonne pour tous, en même temps qu’amère pour tous ; quiconque se lance à parler, sans gouverner la machine, dit promptement assez de sottises pour maudire ensuite sa propre nature et désespérer de lui-même.
[…] Mais celui qui connaît le mal par les causes apprendra à ne point maudire et à ne point désespérer. La maladresse est la loi de tout essai, dans n’importe quel genre. Le corps, non formé par gymnastique, s’emporte aussitôt, et que ce soit dessin, ou escrime, ou équitation, ou conversation, aussitôt vise mal et manque naturellement le but. Cela étonne, et semble donner raison au pessimiste ; mais il faut comprendre par les causes […]. Le maladroit pèse de tout son corps sur le moindre mouvement, et chacun est maladroit d’abord, quand ce ne serait que pour enfoncer un clou.
Cependant il n’est point de limites au savoir-faire que l’on peut acquérir en s’exerçant ; tous les arts et tous les métiers en témoignent. […] car chacun reçoit en héritage ce paquet de muscles tremblant et noué. Il faut dénouer ; et ce n’est pas un petit travail. Et chacun sait bien que la colère et le désespoir sont les premiers ennemis à vaincre. Il faut croire, espérer et sourire ; et avec cela travailler. Ainsi la condition humaine est telle que si on ne se donne pas comme règle des règles un optimisme invincible, aussitôt le plus noir pessimisme est le vrai.