« Tout ce qui doit durer est long à croître »

Tout ce qui doit durer est long à croître.

Louis de BonaldLégislation primitive (1802)


Ce n’est pas, comme on l’a dit, un droit à tous les hommes d’avoir part au pouvoir, mais c’est un devoir au moins politique à toutes les familles de se mettre en état, par le résultat naturel d’une industrie honnête, de passer de l’état purement domestique de société, celui où l’on ne s’occupe que de soi et de ses propres intérêts, à l’état public de société, celui où l’on s’occupe du service des autres, et où, débarrassé du soin d’acquérir, l’homme, ou plutôt la famille, n’a plus qu’à vaquer à la profession honorable du ministère public.

De là venait en France, plus constituée que toute autre société chrétienne, cette tendance de toutes les familles à s’ennoblir, c’est-à-dire à passer à l’état public de société, à cet état qui interdisait aux individus tout métier lucratif, et consacrait les familles elles-mêmes au service de la société. La nature, qui ordonne tout avec sagesse, ne voulait pas qu’un homme passât de plain-pied, pour ainsi dire, et sans préparation, des derniers emplois de la société domestique aux plus nobles fonctions de l’État, et qu’il courût juger en venant de bêcher la terre. Il y a même peu d’hommes dont la raison puisse, sans en être ébranlée, supporter une élévation aussi subite, et de là sont venues toutes les extravagances du règne de la Terreur.

Tout ce qui doit durer est lent à croître, et la constitution en France, d’accord avec la nature, faisait passer la famille successivement par des professions plus relevées, qui occupaient l’esprit plus que le corps, tels que le commerce et la pratique des affaires, et elle la disposait ainsi à l’ennoblissement, qui était le premier garde de l’ordre du ministère public, et le caractère qu’il fallait recevoir, pour être capable d’en exercer toutes les fonctions et d’en posséder tous les grades ; car c’est dans ses principes, et non dans ses abus, qu’il faut considérer cette institution. Le gouvernement, revenu de ces théories insensées, renouvelées des Grecs, qui faisaient de la boutique le vestibule du palais de justice , reconnaît enfin la nécessité d’une éducation spéciale qui dispose l’homme aux fonctions publiques, différente de celle qui le prépare aux travaux domestiques.

Ainsi il faut une éducation pour l’homme public, permise à tous ceux qui aspirent à remplir un jour des fonctions publiques, religieuses ou politiques, et même obligée pour les enfants des familles qui y sont parvenues, dans les gouvernements où il y a des familles revêtues du périlleux honneur d’une destination spéciale au service de la société. Un gouvernement sage, qui veut élever l’instruction publique au rang qu’elle mérite d’oc-cuper entre les objets d’administration, et donner aux établissements publics d’éducation une direction uniforme et parfaitement appropriée à leur but, doit, avant tout, faire un ministère de l’instruction publique, séparé de tout autre détail, et auquel ressortiront naturellement les productions de l’esprit et de l’imagination. Honneur au gouvernement qui le premier, en Europe, donnera à l’éducation de l’homme des soins aussi actifs, aussi constants que ceux que donnent toutes les administrations modernes à l’élève des bestiaux, au perfectionnement de leur race, de leurs laines, etc. !