La plupart des intellectuels laïques et démocratiques italiens se donnent de grands airs parce qu’ils se sentent virilement dans l’histoire.
Ils acceptent dans un esprit réaliste les transformations qu’elle opère sur les réalités, sur les hommes, car ils croient fermement que cette acceptation réaliste découle de l’usage de la raison.
Mais moi, je ne le crois pas. Je ne crois pas en cette histoire et en ce progrès.
Il n’est pas vrai que, de toute façon, on avance. Bien souvent l’individu, tout comme les sociétés, régressent ou se détériorent.
Dans ce cas, la transformation ne doit pas être acceptée. Il faut avoir la force de la critique totale, du refus, de la dénonciation désespérée et inutile.
Si quelqu’un accepte, dans un esprit réaliste, une transformation qui n’est que régression et dégradation, ça veut dire qu’il n’aime pas ceux qui subissent cette dégradation et régression, c’est à dire les hommes en chair et en os qui l’entourent.
Si, au contraire, quelqu’un proteste de toutes ses forces, même celles des sentiments, cela veut dire qu’il aime ces hommes là, en chair et en os, un amour que j’ai le malheur d’éprouver.
Pier Paolo Pasolini – Lettres luthériennes (1976)
