J’applique le qualificatif de demi-savants aux esprits n’ayant d’autres connaissances que celles puisées dans les livres, et qui par conséquent ne savent absolument rien des réalités de la vie.
Ils sont le produit de nos universités et de nos écoles […] la cohue des demi-savants […].
[…] Le demi-savant mécontent est le pire des mécontents. […] Totalement étrangers aux réalités du monde, ils sont par cela même incapables de comprendre les conditions artificielles mais nécessaires qui rendent l’existence d’une société possible.
Une société dirigée par un aréopage de professeurs comme la rêvait Auguste Comte, ne durerait pas six mois. Dans les questions d’intérêt général, l’opinion des spécialistes de lettres ou de science n’a pas plus de valeur que celle des ignorants, et bien souvent en a beaucoup moins, si ces ignorants sont des paysans ou des ouvriers que leur profession a mis aux prises avec les réalités de la vie.
[…] Ils se croient très supérieurs à l’ouvrier et lui sont fort inférieurs en réalité par le défaut de sens pratique et par l’exagération de leur égoïsme.
[…] Leurs livres deviennent parfois des sortes d’évangiles, que personne ne lit jamais, mais dont on peut citer comme argument le titre ou des lambeaux de phrases reproduites par les journaux spéciaux. L’obscurité de leurs œuvres est d’ailleurs une condition fondamentale de leur succès.
[…] N’ayant pour guide qu’une logique livresque et rudimentaire, il croit facilement que ses rêveries vont transformer l’évolution de l’humanité et régir le destin. Ce qu’il croit surtout, c’est que la société doit subir un changement quelconque à son profit.
[…] Les révolutions ne peuvent modifier l’âme des peuples ; aussi n’ont-elles jamais engendré que d’ironiques changements de mots, des transformations de surface.
Gustave Le Bon – Psychologie du socialisme (1898)
