« Les rides d’une nation sont aussi visibles que celles d’un individu »

Une civilisation n’existe et ne s’affirme que par des actes de provocation.

Commence-t-elle à s’assagir ? Elle s’effrite. Ses moments culminants sont des moments redoutables, pendant lesquels, loin d’emmagasiner ses forces, elle les prodigue.

Avide de s’exténuer, la France prit à tâche de gaspiller les siennes ; elle y parvint, aidée par son orgueil, son zèle agressif (n’a-t-elle pas fait, en mille ans, plus de guerres qu’aucun autre pays ?). Malgré son sens de l’équilibre — ses excès même furent heureux — elle ne pouvait accéder à la suprématie qu’au détriment de sa substance.

S’épuiser : elle en fit son point d’honneur. Amoureuse de la formule, de l’idée explosive, du tapage idéologique, elle mit son génie et sa vanité au service de tous les événements survenus ces dix derniers siècles,

Et, après avoir été vedette, la voilà résignée, craintive, ruminant des regrets et des appréhensions, et se reposant de son éclat, de son passé. Elle fuit son visage, elle tremble devant le miroir. Les rides d’une nation sont aussi visibles que celles d’un individu.

Emil CioranLa tentation d’exister (1956)

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