Si jamais, monsieur, quelque homme de lettres vient vous dire que son métier n’est pas le plus ridicule, le plus dangereux, le plus misérable des métiers, ayez la bonté de m’envoyer ce pauvre homme. Il y a tantôt cinquante ans que je puis rendre bon témoignage de ce que vaut la profession.
[…] On débite continuellement sous mon nom de plus mauvaises drogues. […] Quel remède à tout cela, s’il vous plaît ? Je n’y vois que celui de la patience ; autrefois je m’en fâchais, j’ai pris le parti d’en rire.
Je ne puis imiter les charlatans, qui avertissent le public de se donner de garde de ceux qui contrefont leur élixir. Il faut subir cette destinée attachée à la littérature. Il est très-inutile de se plaindre au public, qui n’a jamais plaint personne, et qui ne songe qu’à s’amuser de tout.
Il faut qu’un homme de lettres se prépare à passer sa vie entre la calomnie et les sifflets. Si vous vous plaignez à votre ami d’un libelle fait contre vous, il vous demande vite où on le vend ; si vous êtes affligé qu’on vous impute un mauvais ouvrage, il ne vous répond pas, et il court à l’Opéra-Comique ; si vous lui dites qu’on n’a pas rendu justice à vos derniers vers, il vous rit au nez : ainsi le mieux est toujours de rire aussi.
[…] De toutes les républiques, celle des lettres est sans contredit la plus ridicule.
Voltaire – Lettre au censeur Marin (1764)
