Aucune liberté, sans doute, ne peut exister dans un grand pays sans des assemblées fortes, nombreuses et indépendantes ; mais ces assemblées ne sont pas sans dangers, et pour l’intérêt de la liberté même, il faut préparer des moyens infaillibles de prévenir leurs écarts.
La seule tendance des assemblées à multiplier à l’infini le nombre des lois, est un inconvénient sans remède, si leur séparation immédiate et leur recomposition avec des éléments nouveaux, ne les arrêtent dans leur marche impétueuse et irrésistible.
La multiplicité des lois flatte dans les législateurs deux penchants naturels, le besoin d’agir et le plaisir de se croire nécessaire. Toutes les fois que vous donnez à un homme une vocation spéciale, il aime mieux faire plus que moins.
Ceux qui sont chargés d’arrêter les vagabonds sur les grandes routes sont tentés de chercher querelle à tous les voyageurs.Quand les espions n’ont rien découvert, ils inventent. Il suffit de créer dans un pays un ministère qui surveille les conspirateurs, pour qu’on entende parler sans cesse de conspirations.
Les législateurs se partagent l’existence humaine, par droit de conquête, comme les généraux d’Alexandre se partageaient le monde. On peut dire que la multiplicité des lois est la maladie des États représentatifs, parce que, dans ces États tout se fait par les lois, tandis que l’absence des lois est la maladie des monarchies sans limites, parce que dans ces monarchies tout se fait par les hommes.
C’est l’imprudente multiplicité des lois, qui, à de certaines époques, a jeté de la défaveur sur ce qu’il y a de plus noble, sur la liberté, et fait chercher un asile dans ce qu’il y a de plus misérable et de plus bas, dans la servitude.
Benjamin Constant – Cours de politique constitutionnelle (1818-1820)
