La pensée socialiste doit se préoccuper de prédiction, mais seulement en termes généraux. Il faut souvent viser des objectifs qu’on ne perçoit que très vaguement.
En ce moment, par exemple, le monde est en guerre et désire la paix. Et pourtant le monde n’a aucune expérience de la paix et n’en a jamais eu, à moins que le bon sauvage ait vraiment existé un jour.
Le monde veut quelque chose dont il reconnaît vaguement la possibilité sans pouvoir le définir avec précision.
Presque tous les créateurs d’utopies ressemblent à l’homme qui a mal aux dents et qui pense donc que le bonheur est de ne pas avoir mal aux dents. Ils voulaient produire une société parfaite en proposant quelque chose d’infini qui n’a pourtant de valeur que parce qu’il est temporaire.
La solution la plus sage serait de dire qu’il y a certaines voies le long desquelles l’humanité doit avancer, que la stratégie, dans son ensemble, a été décidée, mais que les prophéties détaillées ne sont pas de notre ressort.
Quiconque essaye d’imaginer la perfection ne fait que révéler sa propre vacuité.
George Orwell – Écrits politiques (1928-1949)
