« Les rieurs ne régneront jamais »

Les rieurs ne régneront jamais.

Le jour n’est pas loin où tous ces prétendus délicats se trouveront si nuls devant l’immensité des événements, si incapables de produire, qu’ils tomberont comme une bourse vide.

L’éternel seul a du prix ; or ces frivoles ne s’attachent qu’aux floraisons successives, sachant bien qu’ils passeront comme elles. Semblables aux estomacs usés qui se dégoûtent vite et pour lesquels il faut tenter sans cesse de nouvelles combinaisons culinaires, ils attachent tout leur intérêt à la succession des manières qui toutes les dix années se supplantent les unes les autres.

Littérature d’épicuriens, bien faite pour plaire à une classe riche et sans idéal, mais qui ne sera jamais celle du peuple : car le peuple est franc, fort et vrai ; littérature au petit pied, renonçant de gaieté de cœur à la grande manière de traiter la nature humaine, où tout consiste en un certain mirage de pensées et d’arrière-pensées ; nulle assise, un miroitement continuel.

Il ne s’agit plus de vérité, mais de bon goût et de bon ton. Il ne s’agit plus de dire ce qui est, mais ce qu’il convient de dire. « Qui ne croit rien ne vaut rien », a dit M. de Maistre.

La vieille foi est impossible : reste donc la foi par la science, la foi critique.

Ernest RenanL’Avenir de la Science (1848)

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