« Et dès que nous croyons être heureux, nous le sommes »

Eh bien ! chacun du moins fut heureux en rêvant.
C’est quelque chose encor que de faire un beau rêve :
À nos chagrins réels c’est une utile trêve.
Nous en avons besoin : nous sommes assiégés
De maux dont à la fin nous serions surchargés,
Sans ce délire heureux qui se glisse en nos veines.
Flatteuse illusion ! doux oubli de nos peines !
Oh ! qui pourrait compter les heureux que tu fais !
L’espoir et le sommeil sont de moindres bienfaits.
Délicieuse erreur, tu nous donnes d’avance
Le bonheur, que promet seulement l’espérance.
Le doux sommeil ne fait que suspendre nos maux,
Et tu mets à la place un plaisir : en deux mots,
Quand je songe, je suis le plus heureux des hommes ;
Et dès que nous croyons être heureux, nous le sommes.

Jean-François Collin d’HarlevilleLes Châteaux en Espagne (1789)

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