Chaque jour, chaque heure démontre à l’homme tout son néant : toujours quelque récente leçon lui rappelle sa fragilité qu’il oublie, et de l’éternité qu’il rêve rabat ses pensées vers la mort.
[…] On projette des traversées lointaines, et, après maintes courses aux plages étrangères, un tardif retour dans la patrie ; on prendra l’épée, puis viendront les lentes récompenses des travaux militaires ; puis des gouvernements, des emplois qui mènent à d’autres emplois, et déjà la mort est à nos côtés, la mort à laquelle on ne pense que quand elle frappe autrui ; en vain elle multiplie à nos yeux ses instructives rigueurs, leur effet ne dure pas plus que la première surprise.
Et quelle inconséquence ! On s’étonne de voir arriver un jour ce qui chaque jour peut arriver. Le terme de notre carrière est où l’inexorable nécessité des destins l’a fixé : mais nul de nous ne sait de combien il en est proche.
Aussi faut-il disposer notre âme comme si nous y touchions déjà : ne remettons rien au futur, réglons journellement nos comptes avec la vie.
Car elle pèche surtout en ceci que, toujours inachevée, on l’ajourne d’un temps à un autre. Qui sut chaque jour mettre à sa vie la dernière main n’est point à court de temps. Or de ce manque de temps naissent l’anxiété et la soif d’avenir qui ronge l’âme. Rien de plus misérable que ce doute : les événements qui approchent, quelle issue auront-ils ?
Combien me reste-t-il de vie, et quelle sorte de vie ? Voilà ce qui agite de terreurs sans fin l’âme qui ne se recueillit jamais. Quel moyen avons-nous d’échapper à ces tourmentes ? un seul : ne pas lancer notre existence en avant, mais la ramener sur elle-même.
Hâte-toi donc de vivre, cher Lucilius, et compte chaque journée pour une vie entière.
Sénèque ( – ) – Lettres à Lucilius

Hâte-toi de bien vivre et songe que chaque jour est à lui seul une vie.