La beauté (contrairement à la laideur) ne peut vraiment s’expliquer : elle se dit, s’affirme, se répète en chaque partie du corps mais ne se décrit pas.
Telle un dieu (aussi vide que lui), elle ne peut que dire : je suis celle qui suis. Il ne reste plus alors au discours qu’à asserter la perfection de chaque détail et à renvoyer «le reste» au code qui fonde toute beauté : l’Art.
Autrement dit, la beauté ne peut s’alléguer que sous forme d’une citation : que Marianina ressemble à la fille du sultan, c’est la seule façon dont on puisse dire quelque chose de sa beauté ; elle tient de son modèle non seulement la beauté, mais aussi la parole ; livrée à elle-même, privée de tout code antérieur, la beauté serait muette.
Tout prédicat direct lui est refusé ; les seuls prédicats possibles sont ou la tautologie (un visage d’un ovale parfait) ou la comparaison (belle comme une madone de Raphaël, comme un rêve de pierre, etc.) ; de la sorte, la beauté est renvoyée à l’infini des codes : belle comme Vénus ? Mais Vénus ? Belle comme quoi ? Comme elle-même ? Comme Marianina ?
Un seul moyen d’arrêter la réplique de la beauté : la cacher, la rendre au silence, à l’ineffable, à l’aphasie, renvoyer le référent à l’invisible, voiler la fille du sultan, affirmer le code sans en réaliser (sans en compromettre) l’origine.
Il y a une figure de rhétorique qui restitue ce blanc du comparé, dont l’existence est entièrement remise à la parole du comparant : c’est la catachrèse […] : figure fondamentale, plus encore peut-être que la métonymie, puisqu’elle parle autour d’un comparé vide : figure de la beauté.
Roland Barthes – S/Z (1970)
