« L’homme manque de temps pour l’éternité »

[…] si, grâce à la machine l’homme parvient effectivement à maîtriser le temps, l’actualisme technique l’assujettit aussi à son accélération précipitée.

[…] Chaque instant doit être remplacé le plus rapidement possible par le suivant, tous sont entraînés dans l’écoulement du temps et par conséquent disparaissent. L’instinct fugitif est vide en lui-même, il ne comporte rien d’autre qu’une orientation sur la minute qui doit suivre.

Mais une telle maîtrise du temps, obtenue par la vitesse, correspond à un asservissement. Et cela signifie que l’actualisme technique détruit l’éternité et entrave de plus en plus l’élan humain vers elle. L’homme manque de temps pour l’éternité. 

Cela ne veut pas dire que nous devions voir l’éternité uniquement dans le passé et la considérer anéantie par l’avenir. Le passé n’appartient pas plus à l’éternité que l’avenir ; l’un et l’autre font partie du temps. En eux, comme dans tous les temps, il y a toujours une possibilité d’évasion vers l’éternité, vers l’instant ayant une valeur en soi. Le temps obéit à la vitesse de la machine mais il n’en est pour cela ni surmonté ni vaincu.

Et le problème qui se pose pour l’homme est celui qui consiste à savoir s’il saura, oui ou non, garder la possibilité de ces instants de contemplation, contemplation de l’éternité, de la Divinité, de la beauté.

Nicolas Berdiaev L’Homme et la Machine (1933)

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