L’homme révolté est l’homme situé avant ou après le sacré, et appliqué à revendiquer un ordre humain où toutes les réponses soient humaines, c’est-à-dire raisonnablement formulées. Dès ce moment, toute interrogation, toute parole, est révolte, alors que, dans le monde du sacré, toute parole est action de grâces.
Il serait possible de montrer ainsi qu’il ne peut y avoir pour un esprit humain que deux univers possibles, celui du sacré […], et celui de la révolte. La disparition de l’un équivaut à l’apparition de l’autre quoique cette apparition puisse se faire sous des formes déconcertantes.
Là encore, nous retrouvons le tout ou rien. L’actualité du problème de la révolte tient seulement au fait que des sociétés entières ont voulu prendre aujourd’hui leur distance par rapport au sacré.
Nous vivons dans une histoire désacralisée. L’homme, certes, ne se résume pas à l’insurrection. Mais l’histoire d’aujourd’hui, par ses contestations, nous force à dire que la révolte est l’une des dimensions essentielles de l’homme. Elle est notre réalité historique. À moins de fuir la réalité, il nous faut trouver en elle nos valeurs.
Peut-on, loin du sacré, et de ses valeurs absolues, trouver la règle d’une conduite ? Telle est la question posée par la révolte.
Albert Camus – L’Homme révolté (1951)
