Mais quel est le fondement de l’être ?
Dieu ? L’humanité ? La lutte ? L’amour ? La femme ?
Il y a là-dessus toutes sortes d’opinions, si bien qu’il y a toutes sortes de kitsch : le kitsch catholique, protestant, juif, communiste, fasciste, démocratique, féministe, européen, américain, national, international.
Depuis la Révolution française une moitié de l’Europe s’intitule la gauche et l’autre moitié a reçu l’appellation de droite. Il est pratiquement impossible de définir l’une ou l’autre de ces notions par des principes théoriques quelconques sur lesquels elles s’appuieraient. Ça n’a rien de surprenant : les mouvements politiques ne reposent pas sur des attitudes rationnelles mais sur des représentations, des images, des mots, des archétypes dont l’ensemble constituent tel ou tel kitsch politique.
L’idée de la Grande Marche […] est le kitsch politique qui unit les gens de gauche de tous les temps et de toutes les tendances.
La Grande Marche, c’est ce superbe cheminement en avant, le cheminement vers la fraternité, l’égalité, la justice, le bonheur, et plus loin encore, malgré tous les obstacles, car il faut qu’il y ait des obstacles pour que la marche puisse être la Grande Marche.
La dictature du prolétariat ou la démocratie ? Le refus de la société de consommation ou l’augmentation de la production ? La guillotine ou l’abolition de la peine de mort ?
Ça n’a pas d’importance. Ce qui fait d’un homme de gauche un homme de gauche ce n’est pas telle ou telle théorie, mais sa capacité à intégrer n’importe quelle théorie dans le kitsch de la Grande Marche.
Milan Kundera – L’insoutenable légèreté de l’être (1984)
