La simplicité et la nudité mêmes de la vie de l’homme aux âges primitifs impliquent au moins cet avantage, qu’elles le laissaient n’être qu’un passant dans la nature. Une fois rétabli par la nourriture et le sommeil il contemplait de nouveau son voyage. Il demeurait, si l’on peut dire, sous la tente ici-bas, et passait le temps à suivre les vallées, à traverser les plaines, ou à grimper au sommet des monts.
Mais voici les hommes devenus les outils de leurs outils ! L’homme qui en toute indépendance cueillait les fruits lorsqu’il avait faim, est devenu un fermier ; et celui qui debout sous un arbre en faisait son abri, un maître de maison. Nous ne campons plus aujourd’hui pour une nuit, mais nous étant fixés sur la terre avons oublié le ciel.
[…] La charrue devant les bœufs n’est belle ni utile. Avant de pouvoir orner nos maisons de beaux objets, il faut en mettre à nu les murs, comme il faut mettre à nu nos existences, puis poser pour fondement une belle conduite de maison et une belle conduite de vie : or, c’est surtout en plein air, où il n’est maison ni maître de maison, que se cultive le goût du beau.
Henry David Thoreau – Walden ou la vie dans les bois (1854)
