A la manière de David Dufresne sur les violences policières, Matthieu Lépine recense lui les accidents du travail graves ou mortels sur sa page Facebook et son compte Twitter
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- Twitter : https://twitter.com/DuAccident
- Blog de Matthieu Lépine
En moyenne, 1715 personnes par jour sont victimes d’un accident du travail en France. Et les salariés du BTP sont en première ligne. Depuis deux ans, un professeur d’histoire de la région parisienne recense les victimes et diffuse leurs histoires sur les réseaux sociaux. Parmi ces drames, la mort de Quentin, 21 ans, enseveli dans un silo qu’il était en train de nettoyer.
Des femmes et des hommes emportés en plein travail. En France, en 2016, 514 personnes sont mortes au travail et plus de 600.000 ont été victimes d’accident, selon la Caisse nationale d’Assurance Maladie.
Un fléau qui continue de s’étendre: lundi, un jeune homme de 26 ans est mort à Mansac, en Corrèze, percuté par un engin de chantier conduit par l’un de ses collègues. Ce même jour à Strasbourg, un homme de 45 ans s’est grièvement blessé après avoir chuté d’un échafaudage d’une hauteur d’environ six mètres.
Course à la productivité
Sur le site industriel de Cristanol à Bazancourt, dans la Marne, le dernier employé victime d’un accident mortel du travail s’appelait Quentin Zaraoui-Bruat. A 21 ans, ce jeune cordiste nettoyait, accroché en rappel, les parois des silos.
Eric Louis, un collègue et membre de l’association Les cordistes en colère, était présent au moment de l’accident, le 21 juin 2017. « Quelqu’un a ouvert une trappe et Quentin s’est fait aspirer », se souvient-il, interrogé par BFMTV. Le jeune homme a été enseveli en quelques secondes sous 370 tonnes de grains.
🎗️En mémoire des victimes d’accident du travail
Le 21 juin 2017, Quentin Zaraoui-Bruat, jeune cordiste intérimaire de 21 ans, meurt dans un silo enseveli en quelques secondes sous 370 tonnes de grains. ⤵️ pic.twitter.com/nAk4EtDesE— Accident du travail : silence des ouvriers meurent (@DuAccident) 3 avril 2019
Pour Eric Louis, Quentin était un professionnel exemplaire qui aurait été poussé à prendre des risques par son employeur.
« Il a été victime de cette course à l’économie qui fait que ce qui prime c’est la productivité et les hommes on s’en fout, ils sont là pour bosser », tance-t-il.
La France, pays européen le plus meurtrier en 2011
Comme Quentin Zaraoui-Bruat, 538 travailleurs sont morts en France en 2009, 552 deux ans plus tard et 541 en 2013, sur les 618.263 accidents du travail connus, rapporte la Caisse nationale d’Assurance Maladie. Selon des données d’Eurostat rapportées par Le Parisien, en 2011, la France était le pays européen le plus meurtrier pour les travailleurs, avec 524 décès devant l’Allemagne (473 décès) et l’Italie (469). Des drames silencieux souvent mal indemnisés.
« Aujourd’hui la pire chose qui puisse arriver c’est de dire que vous avez été victime d’un accident sur votre lieu de travail, vous ne serez indemnisé que du tiers de votre préjudice », assure Karim Felissi, avocat conseil à la FNATH.
Pour obtenir réparation, la seule solution des accidentés du travail est parfois de passer devant la justice. La famille de Quentin Zaraoui-Bruat a porté plainte contre l’usine pour non respect de ses obligations de sécurité et de prudence. « Les employés doivent être considérés comme des êtres humains et non comme de la marchandise », soutient Emmanuel Ludot, l’avocat de la famille qui affirme que « des sanctions lourdes doivent s’abattre sur l’entreprise ».
« Donner de l’intérêt aux histoire des accidentés »
Face à cette hécatombe silencieuse, certains sont bien décidés à dénoncer. Matthieu Lépine est professeur d’Histoire mais chaque soir, pendant deux heures, il se transforme en enquêteur et tente de recenser sur Internet tous les incidents graves de travail.
« J’essaie de donner de l’intérêt aux histoires de tous les accidentés du travail, à ces gens qui font des chutes de 10 mètres sur un chantier par exemple », explique-t-il à BFMTV.
Il publie sur Twitter le résultat de ses recherches, avec chaque semaine un bilan macabre.
Ils/elles avaient…
🧑25 ans (élagueur)
👨🌾31 ans (agriculteur)
👨52 ans (marin-pêcheur)
👨58 ans (bûcheron)
🚛62 ans (routier)
🧑.?. ans (marin-pêcheur)… et sont mort(e)s cette semaine dans un #AccidentDuTravail
— Accident du travail : silence des ouvriers meurent (@DuAccident) 7 avril 2019
Matthieu Lépine compte poursuivre son travail pendant encore une année au moins. Ainsi, le professeur d’histoire espère alerter jusqu’au gouvernement sur ces drames silencieux.
Routiers, électriciens, intérimaires, ouvriers du bâtiment et des travaux publics restent les plus touchés par des accidents mortels.
L’Assurance-maladie affiche un nombre de 550 décès liés au travail en 2017, derniers chiffres en date. Mais en y ajoutant les accidents de trajet – considérés comme accidents de travail – et les morts de maladies professionnelles, on arrive à un total de 1 100 décès. Un chiffre très probablement sous-estimé, quand on sait que nombre de ces drames, notamment des suicides professionnels, passent sous les radars (lire notre article page 4). Toujours en tête des secteurs les plus mortels, les transports et acheminement de l’eau, du gaz et de l’électricité ont enregistré 121 accidents fatals, quasiment à égalité avec le bâtiment et les travaux publics (BTP) (120). Plus surprenant au premier abord, c’est la catégorie services 2, qui arrive en troisième position avec 80 décès, loin devant la métallurgie (48). Mais en y regardant de plus près, on se rend compte que cette catégorie services 2 englobe le travail intérimaire avec le secteur médico-social et le nettoyage. Dans le détail, les activités des agences de travail temporaire ont compté 45 décès en 2017. Parmi ces 45 décès, on peut imaginer que certains ont eu lieu dans des industries rattachées à d’autres catégories, comme la métallurgie ou le BTP. En outre, c’est la catégorie services 2 qui compte le plus grand nombre d’accidents de trajet mortels : 58, dont 25 pour les seuls intérimaires.
« Un patron avait codé un suicide en chute de hauteur »
Les statistiques fournies par la Sécurité sociale sont bien plus lacunaires sur les situations de travail ayant amené à ces décès. Les manutentions manuelles sont en tête des causes létales (26 %), devant les risques routiers (24 %), un agglomérat flou d’« autres risques » (20 %) – dont une porte-parole de l’Assurance-maladie elle-même admet ne pas connaître le contenu – et les chutes de hauteur (16 %). Nulle part n’apparaissent les suicides, ni des éléments structurels tels que le sous-effectif ou l’organisation du travail. « Les statistiques sont faites exclusivement à partir des déclarations des patrons et ne ciblent que les éléments matériels. C’est donc le potentiellement coupable qui déclare, ne remplit pas les cases car il n’y a pas de sanction, interprète comme il veut. Il n’y a aucune forme de correction, même de la part des Carsat, qui ont un pouvoir d’enquête qu’ils utilisent de moins en moins. Le ministère du Travail, lui, n’a pas vocation à centraliser et à tirer des enseignements généraux », regrette Philippe Saunier, membre CGT d’un comité technique de la Sécurité sociale. Les causes profondes ayant amené à ces accidents de travail que peuvent ainsi révéler les agents de la Carsat, de l’inspection du travail, des enquêtes CHSCT ou des commissions SSCT qui les remplacent ne sont pas prises en compte. Pour le syndicaliste, les formulaires Cerfa, remplis par les employeurs en cas d’accidents mortels, sont clairement incomplets…, voire mensongers : « On a eu l’exemple d’un patron qui avait codé un suicide en chute de hauteur », cite-t-il, à titre d’exemple.
Pour ce qui est des décès liés aux maladies professionnelles, si la plupart de ces phénomènes (195 sur 336) ont été imputés au « compte spécial » de la branche AT/MP de la Sécurité sociale – donc pas attribués à un employeur en particulier, c’est la métallurgie qui pointe à la première place avec 54 décès. Le BTP se classe deuxième avec 37 morts, devant la chimie/caoutchouc/plasturgie (17). En grande partie responsables de ces décès, les cancers professionnels reconnus étaient liés, en 2017, à 77 %, à l’exposition à l’amiante.
Mais, dans le cas des maladies professionnelles également, les syndicats dénoncent une sous-estimation massive, liée à la difficulté de faire reconnaître de nombreuses affections comme telles. En 2017, seules 40 % environ des demandes de classement hors tableaux de pathologies en maladies professionnelles ont été acceptées par l’ensemble des experts des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles.
Loan Nguyen
Accidents du travail: plus de 500 Français meurent chaque année, qui sont-ils ? (Le Figaro)
ENQUÊTE – Des proches de victimes et des travailleurs gravement blessés témoignent. Entre tristesse et colère, ils veulent faire changer les choses.
Ils s’appelaient Hugo, Luc, Jérôme et Carlos. Ils avaient entre 22 et 52 ans et ont perdu la vie au travail. Au total, 551 Français sont morts dans un accident du travail en 2018, selon les chiffres dévoilés début décembre par l’Assurance-maladie (contre 530 en 2017). Ce chiffre est probablement bien supérieur car les données de l’Assurance-maladie concernent uniquement les salariés du secteur privé. Les agriculteurs, les auto-entrepreneurs ou encore les fonctionnaires ne sont pas comptabilisés.
Au total, 651.103 accidents du travail ont été recensés en 2018, soit une augmentation de 2,9% par rapport à 2017. «Tous les secteurs d’activité connaissent une augmentation de leurs accidents du travail, en tête desquels on trouve les activités d’intérim et d’aide et soins à la personne (+ 5%) ainsi que l’industrie du bois (+ 4,5%)», détaille l’Assurance-maladie. Les accidents du travail progressent également dans d’autres secteurs: le BTP (+ 1,9%), la métallurgie (+ 2,2%), le transport (+ 2,4%) ou l’alimentation (+ 2,4 %).
Un prof d’histoire lanceur d’alerte
Le sujet a été mis en lumière par Matthieu Lépine, professeur d’histoire à Montreuil (Seine-Saint-Denis). Début 2019, il crée un compte Twitter où il recense des accidents du travail rapportés par la presse: chutes, ouvriers happés, travailleurs électrocutés, etc. Dans ses tweets, il interpelle la ministre du Travail, Muriel Pénicaud.
«C’est un sujet méconnu qui mérite plus d’attention de la part des médias et des politiques», explique Matthieu Lépine au Figaro. «Je suis dans une démarche citoyenne. Mon but est de faire bouger les lignes», poursuit-il. À la suite d’un appel à témoins du Figaro relayé par lui, des proches de victimes d’accidents du travail mortels nous ont contactés, ainsi que des survivants ayant frôlé la mort. Voici leurs témoignages.

