Molenbeek. Le monde entier connaît le nom de cette commune de Belgique. Que se passe-t-il à Molenbeek, et depuis longtemps, puisque dès 2001, le commandant Massoud a été abattu par deux hommes qui y vivaient ? Pourquoi l’avant-garde d’un commando de l’Etat islamique en est-elle partie, une nuit de novembre 2015, pour assassiner 130 personnes à Paris ?
Christophe Lamfalussy et Jean-Pierre Martin se sont plongés dans cet étrange creuset du terrorisme, étudiant sa réalité actuelle et son histoire pour essayer de comprendre l’explosion d’un islam radical au cœur de l’Europe.
D’argent saoudien en mères fanatisées qui envoient leurs fils en Syrie, voici la désolante rencontre du fanatisme religieux, du plus misérable gangstérisme et de l’incompétence politique. Trente ans de dérives. Une leçon, non seulement pour la Belgique, mais pour toute l’Europe.
Editions Grasset – Lire un extrait
Les journalistes Christophe Lamfalussy et Jean-Pierre Martin ont écrit un livre intitulé « Molenbeek-sur-djihad » qui s’intéresse à l’un des décors majeurs de la genèse des attentats de Paris et Bruxelles. Comment cette commune bruxelloise est devenue au cours des dernières décennies un terreau où ont poussé ces kamikazes, parfois partis terminer leur évolution obscure dans le califat de l’organisation terroriste Etat islamique, en Syrie ou en Irak. À quelques jours de la sortie du bouquin, nous avons interrogé l’un des deux auteurs, Jean-Pierre Martin.
Ce grand reporter à la rédaction de RTL info, qui a accompli de nombreux reportages au Proche et au Moyen-Orient au cours d’une carrière bien remplie, poursuit d’une certaine manière l’oeuvre de son épouse, décédée, Marie-Rose Armesto. Celle-ci avait écrit un livre en 2002 qui consistait en un portrait de Malika El Aroud, une islamiste radicale belge d’origine marocaine, femme du terroriste qui a tué le commandant Massoud, chef de la rébellion afghane (contre les Soviétiques d’abord, le Talibans ensuite), deux jours avant les attentats du 11 septembre.
Comme un lien entre les deux livres, mais aussi entre deux vagues de terrorisme lié à l’islamisme radical, Malika El Aroud occupe une place importante dans ce nouveau travail journalistique, 14 ans plus tard. Elle est actuellement détenue après sa condamnation à une peine de huit ans de prison prononcée en 2010. C’est l’éditeur du livre de feu l’épouse de Jean-Pierre Martin qui lui a demandé un ouvrage sur Molenbeek et les raisons qui ont fait de la commune bruxelloise un incubateur de terroristes. L’homme présente son oeuvre non pas comme un essai mais un « thriller journalistique ».
Pouvez-vous nous livrer un moment poignant de votre enquête?
Il y a cette rupture du jeûne du Ramadan à Molenbeek, un soir de début d’été, quelques mois après les attentats de Bruxelles. À l’occasion, le prêtre de la paroisse Saint-Jean-Baptiste avait invité la population de Molenbeek, notamment musulmane, dans son église. Le mari d’une des victimes de l’attentat du métro de Maelbeek a prononcé un discours qui m’a arraché des larmes.
Et puis aussi, dans les jours qui ont suivi, une rencontre, un dimanche après-midi, avec un monsieur sur un banc. Je me suis assis à côté de lui et nous avons parlé. Il m’a raconté son histoire, ses enfants qui ont quitté Molenbeek, sa souffrance provoquée par ces attentats.
Une découverte qui vous a particulièrement surpris et marqué?
Nous étions au secrétariat du greffe du tribunal du commerce de Bruxelles. Nous épluchions les comptes-rendus de rapports financiers d’asbl qui gèrent les mosquées. Nous avons remarqué que la loi n’était pas toujours respectée, qu’il y avait des transferts d’argent… Mais surtout, concernant la grande mosquée de Bruxelles, nous avons constaté que la personne qui avait signé l’acte de naissance en quelque sorte de la grande mosquée était l’ambassadeur d’Arabie Saoudite, juste après la visite du roi d’Arabie Saoudite.
On a commencé à se pencher sur cette histoire pour finalement mettre en évidence le fait que la Belgique, parce qu’elle ne connaissait absolument pas la culture du monde musulman au milieu des années 60, quand les premiers immigrés sont venus, que le pays a accueilli ces ouvriers principalement marocains sans leur apporter un environnement culturel et spirituel, a donné le « paquet » à l’Arabie Saoudite, qui elle avait un véritable programme et voulait imposer à l’ensemble du monde arabo-musulman sa vision du monde qui était une vision wahhabite d’un islam très conservateur. De là, on s’est rendu compte comment le fondamentalisme s’était développé petit à petit en inoculant cette vision très conservatrice et réductrice de l’islam jusqu’à déboucher sur le djihadisme qu’on connait depuis deux générations à Molenbeek.
La plupart des immigrés marocains des années 60 venaient du Rif, une région du Maroc où l’on pratiquait un islam conservateur…
La plupart des familles marocaines à Bruxelles sont d’origine rifaine. Dans le Rif dominait davantage une vision conservatrice de la société en général qu’un islam conservateur. On découvre une histoire tragique de la population du Rif qui a été marginalisée au sein du Maroc au siècle passé. Et ce n’est pas un hasard si cette population a été choisie à l’époque par le Roi Hassan II pour fournir la Belgique en main d’oeuvre.
Une crainte qui vous a poursuivi après l’écriture de ce livre?
Après la fierté d’avoir écrit ce bouquin à quatre mains, nous avions peur de stigmatiser, ce mot qu’on utilise souvent. Ce n’est vraiment pas ce qu’on a voulu faire, au contraire. On a essayé de montrer à chaque fois notre bienveillance.
Mais, en même temps, nous voulions apporter un éclairage qui nous permette de surmonter, qui permette à la population belge et belgo-belge de surmonter ces 30 années d’intégration qui ont été un échec. L’intégration en Belgique a été un échec, c’est suffisamment clair.
Pour ne pas affronter directement cet échec, on a longtemps été dans le déni. On veut aller à l’encontre de ce déni, mais on ne veut surtout pas qu’on pense que ce livre stigmatise une population, bien au contraire.
Aujourd’hui, on est encore, on reste dans le déni, parce qu’on a peur. On n’aborde pas toujours frontalement la question et les responsabilités partagées.
Des signes d’espoir?
Il y a beaucoup de choses qui se font. Il suffit de déambuler dans Molenbeek pour constater qu’elle est en train de s’embellir. Tout ne peut pas être résolu par la sécurité, il y a la prévention, le dialogue.
Lorsque des jeunes ont un environnement positif et ne vont pas dans des écoles poubelles, lorsque l’avenir n’est pas sombre, il y a des grandes chances de ne pas les voir attirés par la délinquance, puis le terrorisme pour quelques-uns d’entre eux.
Pourquoi ce titre?
Au départ nous le trouvions trop sensationnaliste. Et puis on s’est dit que c’était pas faux après avoir rencontré un magistrat qui nous a fait cette confidence au lendemain d’une première audition d’Abrini, l' »homme au chapeau » des attentats de Bruxelles, qui avait dit lors de cette audition qu’il avait été à Raqqa, la capitale autoproclamée du califat de l’organisation terroriste Etat islamique, et qu’il avait constaté que « tout Molenbeek y était ». Evidemment, tout Molenbeek ne se réduit pas au djihad, c’est essentiellement un quartier qui est concerné et dont nous racontons l’histoire, celui du vieux Molenbeek.
« Tant que le virus djihadiste ne sera pas éliminé dans certaines familles, il va prospérer » (DH)
Les journalistes Christophe Lamfalussy (La Libre) et Jean-Pierre Martin (RTL) se sont plongés dans « cet étrange creuset du terrorisme » qu’est Molenbeek. Leur but : « comprendre l’explosion d’un islam radical au cœur de l’Europe ». Il en ressort un livre, « Molenbeek-sur-Djihad » (en librairie à partir de ce jeudi 19 janvier), où les deux reporters dépeignent la commune, ses habitants, son histoire, sa situation sociale, ses dérives, les faiblesses de ses politiques… Christophe Lamfalussy et Jean-Pierre Martin sont les Invités du samedi de LaLibre.be.
Quels sont les éléments prégnants qui ont amené Molenbeek à devenir la « base arrière » du djihad ?
Jean-Pierre Martin (JPM) : Je dirais sa topographie puisque Molenbeek est une sorte de banlieue dans la ville, avec ses propres spécificités sociales. Dans certains quartiers, le taux de chômage est de plus de 50% pour les 20-25 ans. De nombreux trafics s’y développent. Cette commune a souffert d’un désintérêt pendant plusieurs décennies et des gens ont pu y vivre dans une sorte de clandestinité en toute impunité. Ils ont pu faire grandir l’un ou l’autre réseau à travers des relations familiales, claniques, d’amitié…
Était-ce prévisible qu’elle devienne un foyer du radicalisme islamique ?
Jean-Pierre Martin : Non mais d’après un « super flic » que nous avons interrogé, ceux qui disent n’avoir rien vu sont des menteurs. Tous les éléments connus depuis le début des années 2000 auraient dû légitimer une réaction beaucoup plus vive par rapport à l’islamisme, à l’absence de contrôle des mosquées, à la petite délinquance, à l’estompement des normes… Tout cela a créé le terreau du djihadisme.
Votre livre révèle que de la littérature salafiste (un tafsir) a été retrouvée dans les planques des terroristes de Paris et Bruxelles. Que cela révèle-t-il de la personnalité de ces individus ?
Christophe Lamfalussy : Lorsque Mohamed Belkaid est tué à Forest, on trouve à ses côtés un guéridon avec ce tafsir écrit par un prédicateur salafiste très couru. Ce salafisme provoque une détestation de la société belge par le fidèle. Cette doctrine ne mène pas forcément au terrorisme, mais elle crée un fossé dont peuvent se servir les gens de l’EI ou du Front Al-Nosra en Syrie ou en Irak. Le phénomène religieux est important dans la compréhension de ce qui s’est passé.
Molenbeek-sur-Djihad : Pleins feux sur trente ans de dérives (Paris Match)
Molenbeek, fabrique de djihadistes. Cliché ou réalité ? A la suite des attentats de Paris et de Bruxelles, la commune bruxelloise a été dépeinte dans la presse mondiale comme un véritable nid de terroristes islamistes.
Pour en avoir le coeur net et faire la part des choses entre angélisme et diabolisation, Christophe Lamfalussy et Jean-Pierre Martin, respectivement grand reporter à La Libre Belgique et à RTL-TVI, ont mené une enquête de fond. Ils rapportent de leur immersion dans la municipalité, un livre saisissant publié aux Editions Grasset : « Molenbeek-sur-Djihad ».
Une pépinière de djihadistes
L’enquête, très documentée, menée dans les archives du royaume, auprès des enquêteurs de l’antiterrorisme et des agents de renseignement, dans le landerneau politique, au contact des acteurs de terrain ainsi qu’au ras du bitume molenbeekois, relate trente années de dérives ayant conduit à l’éclosion de l’un des principaux foyers de radicalisme et de djihadisme en Europe. Tout en prenant soin de ne pas intenter un procès injuste à toute une communauté, ni de faire de Molenbeek la matrice de la djihadosphère, les auteurs ne voilent cependant pas le réel.
A les suivre, on comprend qu’une conjugaison de facteurs a conduit la Belgique – Molenbeek singulièrement, qui les réunissait tous -, à se transformer peu à peu en pépinière de djihadistes. Les clefs du culte islamique ont tout d’abord été confiées à l’Arabie Saoudite dans les années soixante, laquelle ne s’est pas privée de l’accommoder à la sauce wahhabite.
Sur ce premier terreau du radicalisme ont ensuite proliféré les prêcheurs salafistes, promoteurs au tournant du siècle d’un Islam des caves et des garages. A cela s’ajoutent l’aveuglement du politique face au repli communautaire – sans le rendre seul responsable de tous les maux de sa commune, Lamfalussy et Martin n’épargnent pas l’ancien bourgmestre Philippe Moureaux, qui a tenu les rênes du pouvoir pendant vingt ans et laissé enfler la ghéttoïsation -, associé au désinvestissement dans les services de sécurité et à l’éparpillement des compétences que l’affaiblissement de l’État fédéral, consécutif aux réformes institutionnelles, n’a cessé d’accentuer.
A l’arrivée, rapporté dans l’ouvrage, il y a ce constat ahurissant de Mohamed Abrini, le terroriste rescapé de l’attaque du 22 mars 2016 contre l’aéroport de Zaventem : « Je suis allé à Raqqa en Syrie et j’ai vu que tout Molenbeek y était ! ».
Molenbeek, labo du « post-djihadisme » (Le Monde)
Dans leur ouvrage, « Molenbeek-sur-Djihad », les journalistes belges Jean-Pierre Martin et Christophe Lamfalussy analysent en profondeur le processus qui a transformé cette petite ville en creuset du radicalisme islamiste.
Le tableau qu’ils dépeignent est, écrivent-ils, « effrayant ». Ils sont belges, immergés depuis une vingtaine d’années dans l’observation d’une ville-région devenue l’un des creusets du radicalisme islamiste, et ils analysent en profondeur ce qui s’est déroulé à Molenbeek, quatorze mois après les attentats de novembre 2015 à Paris et dix mois après ceux qui ont frappé l’aéroport de Zaventem et le métro Maelbeek.
« Qu’avons-nous raté, nous les Belges ? », interrogent Christophe Lamfalussy, journaliste à La Libre Belgique, et Jean-Pierre Martin, journaliste à RTL-TVi. La réponse n’est pas simple, tant les facteurs, souvent négatifs, qui ont pesé sur l’évolution de cette petite municipalité surpeuplée – près de 100 000 habitants recensés sur 6 km² –, sont nombreux. Ils ont abouti à transformer le « Vieux Molenbeek », où se concentre depuis plus de cinquante ans une communauté belgo-marocaine, en « creuset idéal » pour un cocktail de délinquance, de radicalisme religieux et de repli communautaire. Les auteurs des attaques meurtrières des terrasses, du Bataclan et de Bruxelles sont les purs produits de ce que les deux auteurs appellent « une fabrique et une zone de transit » de djihadistes, un « hub » resté trop longtemps hors contrôle.
Comment les diverses autorités de ce pays ont-elles laissé filer la situation jusqu’à la création d’une zone de laisser-aller, voire de non-droit ?

